понедельник, 21 июня 2010 г.

"Le grand cahier" Agota Kristof


Pour mes élèves








Exercice de cécité et de surdité
L'un de nous fait l'aveugle, l'autre fait le sourd. Pour s'entraîner, au début, l'aveugle attache un fichu noir de Grand-Mère devant ses yeux, le sourd se bouche les oreilles avec de l'herbe. Le fichu sent mauvais comme Grand-Mère.
Nous nous donnons la main, nous allons nous promener pendant les alertes, quand les gens se cachent dans les caves et que les rues sont désertes.
Le sourd décrit ce qu'il voit:
– La rue est droite et longue. Elle est bordée de maisons basses, sans étage. Elles sont de couleurs blanche, grise, rose, jaune et bleue. Au bout de la rue, on voit un parc avec des arbres et une fontaine. Le ciel est bleu, avec quelques nuages blancs. On voit des avions. Cinq bombardiers. Ils volent bas.
L'aveugle parle lentement pour que le sourd puisse lire sur ses lèvres:
– J'entends les avions. Ils produisent un bruit saccadé et profond. Leur moteur peine. Ils sont chargés de bombes. Maintenant, ils sont passés. J'entends de nouveau les oiseaux. Sinon, tout est silencieux.
Le sourd lit sur les lèvres de l'aveugle et répond:
– Oui, la rue est vide.
L'aveugle dit:
– Pas pour longtemps,. J'entends des pas approcher dans la rue latérale, à gauche!
Le sourd dit:
– Tu as raison. Le voilà, c'est un homme.
L'aveugle demande:
– Comment est-il?
Le sourd répond:
– Comme ils sont tous. Pauvre, vieux.
L'aveugle dit:
– Je le sais. Je reconnais le pas des vieux. J'entends aussi qu'il est pieds nus, donc il est pauvre.
Le sourd dit:
– Il est chauve. Ila une vieille veste de l'armée. Il a des pantalons trop courts. Ses pieds sont sales.
– Ses yeux?
– Je ne les vois pas. Il regarde par terre.
– Sa bouche?
– Lèvres trop rentrées. Il ne doit plus avoir de dents.
– Ses mains?
– Dans les poches. Les poches sont énormes et remplies de quelque chose. De pommes de terre, ou de noix, ça fait de petites bosses. Il lève la tête, il nous regarde. Mais je ne peux pas distinguer la couleur de ses yeux.
– Tu ne vois rien d'autre?
– Des rides, profondes comme des cicatrices, sur son visage.
L'aveugle dit:
– J'entends les sirènes. C'est la fin de l'alerte. Rentrons.
Plus tard, avec le temps, nous n'avons plus besoin de fichu pour les yeux ni d'herbe pour les oreilles. Celui qui a fait l'aveugle tourne simplement son regard vers l'intérieur, le sourd ferme ses oreilles à tous les bruits.




L'école recommence
En automne, tous les enfants retournent à l'école, sauf nous.
Nous disons à Grand-Mère:
– Grand-Mère, nous ne voulons plus jamais aller à l'école.
Elle dit:
– J'espère bien. J'ai besoin de vous ici. Et qu'est-ce que vous pourriez encore apprendre à l'école?
– Rien, Grand-Mère, absolument rien.
Bientôt nous recevons une lettre. Grand-Mère demande:
– Qu'est-ce qui est écrit?
– Il est écrit que vous êtes responsable de nous et que nous devons nous présenter à l'école.
Grand-Mère dit:
– Brûlez la lettre. Je ne sais pas lire et vous non plus. Personne n'a lu cette lettre.
Nous brûlons la lettre. Bientôt nous en recevons une deuxième. Il y est écrit que si nous n'allons pas à l'école, Grand-Mère sera punie par la loi. Nous brûlons aussi cette lettre. Nous disons à Grand-Mère:
– Grand-Mère, n'oubliez pas que l'un de nous est aveugle et l'autre sourd.
Quelques jours plus tard, un homme se présente chez nous. Il dit:
– Je suis l'inspecteur des écoles primaires. Vous avez chez vous deux enfants en âge de scolarité obligatoire.
Vous avez déjà reçu deux avertissements à ce sujet.
Grand-Mère dit:
– Vous voulez parler des lettres? Je ne sais pas lire. Les enfants non plus.
L'un de nous demande:
– Qui c'est? Qu'est-ce qu'il dit?
– Il demande si on sait lire. Comment il est?
– Il est grand, il a l'air méchant.
Nous crions ensemble:
– Allez-vous-en! Ne nous faites pas de mal! Ne nous tuez pas! Au secours!
Nous nous cachons sous la table. L'inspecteur demande à Grand-Mère:
– Qu'est-ce qu'ils ont? Qu'est-ce qui leur arrive?
Grand-Mère lui dit:
– Oh! les pauvres, ils ont peur de tout le monde! Ils ont vécu des choses atroces dans la Grande Ville. De plus, l'un est sourd et l'autre aveugle. Le sourd doit expliquer à l'aveugle ce qu'il voit et l'aveugle doit expliquer au sourd èë qu'il entend. Sinon, ils ne comprennent rien.
Sous la table, nous hurlons:
– Au secours, au secours! Ça explose! Ça fait trop debruit! C'est plein d'éclairs!
Grand-Mère explique:
– Quand quelqu'un leur fait peur, ils entendent et ils voient des choses qui n'existent pas.
L'mspecteùr dit:
– Ils ont des hallucinations. Il faudrait les faire soigner dans un hôpital.
Nous hurlons encore plus fort. Grand-Mère dit:
– Surtout pas! C'est dans un hôpital que le malheur est arrivé. Ils ont rendu visite à leur mère qui y travaillait. Quand des bombes sont tombées sur l'hôpital, ils y étaient, ils ont vu les blessés et les morts; eux-mêmes sont restés dans le coma pendant plusieurs jours.
L'inspecteur dit:
– Pauvres gosses. Où sont leurs parents?
– Morts ou disparus. Comment savoir?
– Ils doivent être une charge très lourde pour vous.
– Que faire? Ils n'ont personne d'autre que moi. En s'en allant, l'inspecteur donne la main à Grand-Mère:
– Vous êtes une bien brave femme.
Nous recevons une troisième lettre où il est écrit que nous sommes dispensés de fréquenter l'école à cause de notre infirmité et à cause de notre traumatisme psychique.

Notre Père revient
Nous ne reverrons notre Père que plusieurs années plus tard.
Entre-temps, Grand-Mère a eu une nouvelle attaque et nous l'avons aidée à mourir comme elle nous l'avait demandé. Elle est enterrée maintenant dans la même tombe que Grand-Père. Avant qu'on ouvre la tombe, nous avons récupéré le trésor et nous l'avons caché sous le banc devant notre fenêtre où se trouvent encore le fusil, les cartouches, les grenades.
Père arrive un soir, il demande:
– Où est votre Grand-Mère?
– Elle est morte.
– Vous vivez seuls? Comment vous débrouillez-vous?
– Très bien, Père.
Il dit:
– Je suis venu ici en me cachant. Il faut que vous m'aidiez.
Nous disons:
– Vous n'avez pas donné de vos nouvelles depuis des années.
Il nous montre ses mains. Il n'a plus d'ongles. Ils ont été arrachés à la racine:
– Je sors de prison. On m'a torturé.
– Pourquoi?
– Je ne sais pas. Pour rien. Je suis un individu politiquement suspect. Je ne peux pas exercer ma profession. Je suis constamment surveillé. On fouille mon appartement régulièrement. Il m'est impossible de vivre plus longtemps dans ce pays.
Nous disons:
– Vous voulez traverser la frontière.
Il dit:
– Oui. Vous qui vivez ici, vous devez connaître, savoir…
– Oui, nous connaissons, nous savons. La frontière est infranchissable.
Père baisse la tête, contemple ses mains un moment, puis dit:
– Il doit bien y avoir une faille. Il doit bien y avoir un moyen de passer.
– Au risque de votre vie, oui.
– Je préfère mourir plutôt que de rester ici.
– Il faut que vous vous décidiez en connaissance de cause, Père.
Il dit:
– Je vous écoute.
Nous expliquons:
– La première difficulté, c'est d'arriver jusqu'aux premiers fils barbelés sans rencontrer une patrouille, sans être vu d'un mirador. C'est faisable. Nous connaissons l'heure des patrouilles et l'emplacement des miradors. La barrière a un mètre cinquante de hauteur et un mètre de largeur. Il faut deux planches. L'une pour grimper sur la barrière, l'autre qu'on posera dessus de façon à s'y tenir debout. Si vous perdez l'équilibre, vous tombez entre les fils et vous ne pouvez plus sortir.
Père dit:
– Je ne perdrai pas l'équilibre.
Nous continuons:
– Il faut récupérer les deux planches pour passer de la même manière l'autre barrière qui se trouve sept mètres plus loin.
Père rit:
– C'est un jeu d'enfant.
– Oui, mais l'espace entre les deux barrières est miné.
Père pâlit:
– Alors, c'est impossible.
– Non. C'est une question de chance. Les mines sont disposées en zigzag, en w. Si on suit une ligne droite, on risque de ne marcher que sur une seule mine. En faisant de grandes enjambées, on a à peu près une chance sur sept de l'éviter.
Père réfléchit un moment puis il dit:
– J'accepte ce risque.
Nous disons:
– Dans ce cas, nous voulons bien vous aider. Nous vous accompagnerons jusqu'à la première barrière.
Père dit:
– C'est d'accord. Je vous remercie. Vous n'auriez pas quelque chose à manger, par hasard?
Nous lui servons du pain avec du fromage de chèvre. Nous lui offrons aussi du vin provenant de l'ancienne vigne de Grand-Mère. Nous versons dans son verre quelques gouttes de somnifère que Grand-Mère savait si bien préparer avec des plantes.
Nous conduisons notre Père dans notre chambre, nous disons:
– Bonne nuit, Père. Dormez bien. Nous vous réveillerons demain.
Nous allons nous coucher sur le banc d'angle de la cuisine.


http://www.litru.ru/?book=88739&page=1 -полностью текст на французском.

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